Du plus loin que je me souvienne, c’est à dire environ l’âge de 4 ans, la cuisine et le cinéma ont été les fils conducteurs de ma vie.
Je me souviens du « Pinocchio » de Luigi Comencini avec Gina Lollobrigida en fée bleue qui passait à la télévision et des séances permanentes du grand REX. Vers 17 ans, j’y passais quasiment ma vie.

Je me souviens aussi que, vers l’âge de 5 ou 6 ans, des adultes ne sachant pas quoi dire à une gamine de mon âge, me posait cette question stupide : « qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande ? ». Je répondais : « je voudrais avoir un restaurant ».
Ils avaient bien fait de poser la question ! C’était sans appel et tellement surprenant pour eux qu’ils en restaient sans voix et allaient tenter leur chance ailleurs.
Je ne sais pas d’où me venait cette réponse. Depuis j’ai compris que c’était ma vocation.

Et le cinéma ? A l’adolescence, je voulais être photographe de plateau. Je ne savais pas trop ce que ça voulait dire mais c’était comme « avoir un restaurant ». Ca me faisait rêver.

Colette a dit dans « Prisons et Paradis » : « Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine. »
La sorcellerie, la magie c’est ce que je ressens en faisant la cuisine ou la pâtisserie ou en regardant un film.
Des ingrédients ont été mélangés à partir d’une recette ou d’une idée. Quelque chose a été crée avec cœur et savoir-faire. On se nourrit d’un film, d’un plat ou d’une pâtisserie et la magie opère.

En plus des recettes, je voudrais partager des films qui ont agi sur moi comme des remèdes de sorcière. Ils guérissent, ils soignent, ils apaisent, ils procurent de la joie et de l’espoir, comme la cuisine.

Film danois (1987) de Gabriel Axel.
D’après une nouvelle de Karen Blixen
Avec Stéphane Audran (Babette Hersant), Bodil Kjer (Filippa), Birgitte Federspiel (Martine), Jarl Kulle (Général Löwenheilm), Jean-Philippe Lafont (Achille Papin).

L’histoire :

La vie suit son cours monotone et résigné dans un petit village du Jutland. Martine et Filippa, les deux filles d’un pasteur luthérien rigoriste et possessif sont dévouées corps et âme aux nécessiteux du village, à qui elles apportent de la soupe et du réconfort, ainsi qu’à la mémoire de leur père défunt qui a parfaitement réussi à maintenir ses filles sous sa coupe même après sa mort.

De son vivant, il avait non seulement réussi à contrarier la vocation de chanteuse de Filippa, mais il l’avait aussi empêchée de vivre l’amour et la vie de diva qui s’offrait à elle avec Achille Papin. Grand ténor, grand amoureux de Filippa et grand découvreur de sa voix.
Quant à Martine, elle fut courtisée silencieusement par le jeune soldat Löwenheilm, envoyé par son père chez une tante du Jutland, pour le faire réfléchir sur son comportement dépravé.
Quand il la vit lors d’une promenade à cheval jusqu’au village, il eut une sorte de révélation. Un ange lui avait remis les idées en place.
Il assista à toutes les réunions organisées par le pasteur pour être près de Martine. Sans doute l’attitude du pasteur qui l’observait du coin de l’œil, dissuada-t-elle le jeune soldat qui ne se décida à parler à Martine uniquement pour lui annoncer qu’il partait pour toujours.
Il avait compris que « dans la vie, il y a des choses impossibles ». Il allait se consacrer à sa carrière et devenir un homme important dans le monde.

La belle voix de Filippa résonne dans la petite église du Jutland pour les villageois. Martine apporte de l’aide aux nécessiteux. Elles passent leur vie à perpétuer la mémoire et les enseignements rigoristes et austères de leur père.
Jusqu’au jour où Babette frappe à leur porte. Elle vient de France, elle fuit la répression de la Commune de Paris.
Elle recommandée par Achille Papin. Son fils et son mari ont été tués sous ses yeux. Elle a tout perdu.
Les deux sœurs la recueillent et leur vie va changer, tout doucement, comme un plat qui mijote.
Les changements s’opèrent sans que les villageois ne s’en rendent tout à fait compte. L’air de rien, la vie de Filippa et Martine devient plus douce.
Babette s’installe dans cette communauté en imprimant sa patte et devient indispensable. Cette femme qui a tout perdu donne tout ce qui reste de son cœur.
La soupe de Babette ravit ceux qui la mangent. Elle fait faire des économies aux deux sœurs en marchandant très habilement avec les commerçants.
La vie de tout le monde s’améliore.
Mais la discrète Babette avait gardé un lien avec Paris : un billet de loterie.
Un jour, elle gagne. Le gros lot : 10000 francs.

Les sœurs s’émeuvent. Elles sont heureuses pour Babette mais elles ont peur de la perdre. Malgré tout, elles se résignent. Si Babette veut partir, ce serait normal. « Le Seigneur a donné et il a repris » disent les sœurs.
Elles ne font pas comme leur père ! Elles sont prêtes à laisser Babette suivre son chemin et son destin.
Elles refusent de lui faire subir ce qu’elles ont subit, elles qui sont passées à côté des vies qui s’offraient à elles.

Babette leur demande une faveur. Elle voudrait organiser un vrai dîner français pour l’anniversaire du pasteur. Avec son propre argent.
Babette prend quelques jours de congés pour organiser les préparatifs pendant lesquels, les nécessiteux doivent subir la soupe de pain à la bière que Filippa et Martine leur servent.

Les commandes arrivent, les villageois voient passer des animaux vivants et des denrées inconnues avec sidération. Au fur et à mesure des préparatifs, l’angoisse monte. Assisteraient-ils à un sabbat de sorcière ? Une tortue géante est livrée. Babette jette des pattes et des têtes de poulet dans une marmite. Même l’éclairage du visage de Martine qui assiste à cette scène est inquiétant.
Les disciples prennent une décision. Ils assisteront au repas. Ils mangeront mais ne feront aucun commentaire.
Le jour du repas arrive.
Mme Löwenheilm tante, viendra accompagnée de son neveu, le Général Löwenheilm.
Le temps revient en arrière. Le général parle au jeune soldat : « Ce soir, tu dois me prouver que j’ai fait le bon choix. »
Le repas commence. Le Général s’extasie dès l’entrée alors que les disciples sont muets. Il connaît tous les plats et les commente. Les vins sont délicieux. Les disciples tiennent bon mais la magie est plus forte qu’eux.
Elle opère malgré eux. L’alcool aidant, les langues se délient.
Et puis, au moment des cailles en sarcophage, le Général prend la parole et raconte :
– « Après une bataille, j’ai été invité dans un grand restaurant à Paris, le Café Français, dont le chef était une femme. Les « cailles en sarcophage » étaient une de ses inventions. Le Général Galliffet•, qui était mon hôte m’expliqua que cette femme cheffe était capable de transformer un repas en une sorte d’histoire d’amour. Un amour qui ne faisait pas de distinction entre l’appétit physique et l’appétit spirituel.
Le Général qui s ‘était battu autrefois en duel pour une jeune femme, jurait qu’il n’y en aurait plus aucune pour laquelle il verserait son sang à part ce chef.
Elle était considérée comme le plus grand génie culinaire.
Ce que nous mangeons en ce moment, sont des « cailles en sarcophage » »
– « Alléluia ! » s’exclame un des disciples.

La magie a fait son œuvre, au baba au rhum, ils ont tous succombés.
Les gens se rapprochent. Ils n’ont jamais rien mangé d’aussi bon. L’amour avec lequel Babette a préparé ce repas est un ingrédient qui agit comme un philtre.

 »Arrive enfin le jour où nos yeux s’ouvrent et où nous comprenons que la grâce est infinie », dit le général en disant au revoir à Martine. « Vous étiez avec moi chaque jour, je serai avec vous chaque jour avec son âme » lui dit-il.
Martine et Filippa vont féliciter Babette dans sa cuisine. Elles la trouvent assise. Fatiguée mais heureuse. Babette leur dit qu’elle était cheffe du Café Français. Dans son restaurant, un repas tel qu’elle leur a préparé coûtait 10.000 francs. Elle ne retournera pas à Paris, rien ne l’y appelle est elle n’a plus d’argent.
Elle assied littéralement les 2 sœurs :
– Filippa : « Mais vous serez pauvre toute votre vie ?! »
– Babette : « Une artiste n’est jamais pauvre. Je rendais les gens heureux quand je me surpassais. Achille Papin le savait. »
– Filippa : « Achille Papin…… ». « Ce n’est pas fini Babette. Au Paradis, vous serez la grande artiste que Dieu voulait que vous soyez. Comme vous saurez ravir les anges. »

Les villageois sont transformés, ils dansent au clair de lune en se tenant la main. Tout paraît à nouveau possible.

Et au passage une vocation est peut-être née : le petit gars qui aide Babette au service deviendra peut-être cuisinier.

Menu du Festin de Babette
Soupe de tortue géante
Blinis Demidoff
Cailles en sarcophage farcies au foie gras et sauce aux truffes
Salade d’endives aux noix
Fromages
Baba au rhum et fruits confits
Fruits frais
Raisins, figues, ananas
Les Vins
Amontillado
Veuve Clicquot 1860
Clos Vougeot 1845
Café et Fine Champagne

 

· C’est ce à cause de ce même Général que Babette a fuit Paris. Elle voulait échapper à ses balles.